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Liliane Bruneau

Atelier Ecriture - ''Le long voyage du Coronavirus'' de Liliane Bruneau


Le long voyage du coronavirus

- On mange quoi, demanda monsieur

- Douceur de riz au saké et nuggets de poumons de cangolin

- Comme hier

- Et comme demain

- Les grains de riz vont bientôt me sortir des trous de nez, marmonna monsieur. Très chère, il m’est venu l’autre nuit une idée que j’aimerais soumettre à ton approbation.


Méfiance se dit-elle, quand il parle sur ce ton c’est pour lui rappeler qu’un de ses ancêtres , Murashi Miyamoto, avait été le samouraï le plus vaillant de l’Ere Meiji. Son armure trônait encore au salon, même si elle doutait qu’elle ait pu traverser tant de combats et de siècles sans autre cicatrice qu’un casque cabossé et une entaille dans le bouclier. Ce ton était aussi réservé aux idées farfelues de son mari.


- Que diriez- vous d’entreprendre un long voyage, nous sommes mariés depuis si longtemps, il serait temps de découvrir le monde, n’est-ce pas ?


Elle le regarda de ses beaux yeux bridés, tous les vibrions en éveil. Il l’aimait bien sa femme, ses bonnes rondeurs, ses antennes toujours en mouvement. Elle avait gardé une agilité certaine pour se glisser dans les cellules à infecter et son poison était encore puissant.


Elle était déjà en train de farfouiller dans la bibliothèque à la recherche du Coronaroutard. Le soir même, ils faisaient leurs adieux à leur nombreuse famille, un peu ahurie, et embarquaient le lendemain matin dans un avion Air France pour Paris. Ils choisirent la première classe : ils n’avaient pas petit-déjeuné et les passagers y étaient plus appétissants. Aucun Sumo en vue hélas ! mais un grand gaillard, style cow-boy, dont le nez épaté présentaient deux larges narines poilues où ils s’engouffrèrent en riant.

- A tout à l’heure


Après avoir crapahuté dans l’arrière gorge, il se dirigea vers les poumons, elle préférait le foie. Par bonheur, Ils croisèrent en chemin, leurs complices, une protéase, puis une seconde, sans l’aide desquelles ils n’auraient pas été en mesure d’infecter qui que ce soit. Le voyage commençait bien, il fut long mais plaisant. La nourriture était excellente.


En descendant de l’avion, ils entendirent le voyageur tousser et se plaindre d’un fort mal de tête.

- C’est terrible l’air conditionné, dit-elle compatissante.


Sortir de l’aéroport fut un cauchemar. Agrippés aux parois des escalators à grande vitesse, malmenés sur les tapis roulants, percutés par les valises et les sacs, perdus dans des couloirs sans fin, ils risquèrent cent fois leur vie. Enfin, dans un dernier contrecoup, ils atterrirent chez Paul, sur un sandwich au pastrami. Quelques vibrions en avaient pris un coup mais rien de grave, il fallait juste se reposer. Ils avisèrent une grande salle avec des fauteuils inoccupés. Sur un très large écran, un homme, habillé de sombre, comme statufié, parlait et tous les regards convergeaient vers lui.


- Mes chers compatriotes, je vous le dis, l’heure est grave. le coronavirus vient de débarquer …


Ils se regardent, stupéfaits , les coronavirus qu’ils connaissent habitent Wuyan en Chine, et ils n’ont jamais fait de mal à quiconque. Il doit y avoir erreur de personne.


L’homme continue :

- … et déjà ses dégâts sont considérables. Des gens meurent tous les jours, les hôpitaux sont débordés, Nos médecins, nos scientifiques, ne savent presque rien de ce virus terriblement infectueux, qui bloque les poumons, arrête les cœurs, grignote les cerveaux, vise les plus fragiles. Nous savons seulement qu’il se répand à travers les postillons qui s’échappent de notre bouche, et se traine sur nos mains sales posées n’importe où.

- Français, françaises notre pays est en guerre.


Elle n’y comprend rien. C’est la guerre mais on ne voit ni samouraÏs, ni soldats. Elle se serre contre lui. Elle a peur, elle a les larmes aux yeux.


- Ce doit être une guerre d’opérette dit-il en l’embrassant dans le cou, les français aiment bien rigoler. Il rit. Allez viens faire un tour de manège et il l’entraîne vers un stand qui vend des hot-dogs. Ils s’accrochent à une saucisse enfilée dans un tourne broche, çà leur chauffe un peu les fesses mais c’est très drôle.


Ils n’ont fait qu’une escapade cette nuit : à l’intérieur d’un chauffeur de taxi qui s’ennuyait et qui a embarqué ce matin des passagers pour les Galeries Lafayette dans lesquelles ils s’engouffrent tout excités.


Que de découvertes ! Que de merveilles ! Elle se vautre dans les carrés de soie Hermès, si doux, il s’emberlificote dans les cravates, si colorées, ils s’étonnent du nombre d’asiatiques qui patiente devant le stand Vuitton.


- Cà doit être bon marché, voilà tout, dit-il

- Et c’est même pas joli !


Elle se précipita au rayon parfums : il appuyait sur les flacons d’essai, elle exposait sans pudeur tous ses vibrions, tourbillonnait, jusqu’à être saoule de senteurs. Un pschitt n°5 de Channel l’acheva. AH ! Paris, Paris…


Plus tard, elle reprit ses esprits en passant dans le nez d’un papy qui achetait une ceinture. Lui, pendant ce temps s’était glissé au creux de la main d’un jeune homme. Il hocha la tête et soupira :


- Elle est bien courte sa ligne de vie.


Ils flanèrent sur les Grands Boulevards , visitèrent l’Opéra et de très très près une danseuse étoile, admirèrent les vitrines de la rue de la paix, tournèrent autour de la Concorde, s’arrêtèrent au pied des Champs Elysées. C’était vraiment la plus belle avenue du monde. Ils n’en connaissaient pas d’autres. Ils traversèrent la Seine qui leur parut un filet d’eau comparé au Mékong. Arrivés porte de Versailles, ils surent qu’ils s’étaient trompés. Ce n’était pas le château décrit par le guide, avec son esplanade, ses jardins, la bergerie de Marie-Antoinette.


Le salon de l’agriculture battait son plein, ils y firent ripailles puis suivirent un jeune homme qui venait de dire qu’il rentrait à Versailles en enfourchant une grosse moto. Agrippés à sa tignasse, morts de peur à cause de la vitesse, ils se laissèrent glisser devant l’entrée du château, essoufflés, hagards et demeurèrent là, pétrifiés par la beauté des lieux.

Remis de leur émotion, ils suivirent un groupe jusqu’à la fameuse galerie des Glaces. Elle s’inquiéta de savoir qui faisait les vitres, et avec quel produit tellement elles brillaient.


Ils musardèrent jusqu’au soir, et tout le monde évaporé, s’installèrent, dans un fauteuil capitonné, pour une nuit peuplée de rois triomphants, de reines délaissés, de favorites jalouses et de courtisans obséquieux. Ils s’imaginèrent en Louis XVI et Marie Antoinette et se firent moultes révérences.


Le lendemain, ils négligèrent la Joconde trop souvent vue dans des livres, grimpèrent jusqu’en haut de la pyramide du Louvre, construit par un compatriote, et pour leur dernier soir à Paris se faufilèrent dans les coulisses du Moulin Rouge. Malheureusement, le spectacle était annulé à cause du confinement. Ils ne savaient pas ce que cela voulait dire mais ils regrettèrent de ne pas avoir vu les girls danser le french cancan.


Tôt le matin, sur le chemin de la gare, ils ne croisèrent que des éboueurs et un postier qui pédalait comme un fou.


- Et bien, dit-elle, les parisiens ne se lèvent pas de bonne heure.

- J’ai entendu dire qu’ils ne travaillaient que 35 heures la semaine, ils ne sont pas pressés d’aller au bureau. Pas comme nos compatriotes qui s’échinent à la tâche. ,

Ils étaient tout excités à l’idée de grimper dans l’EUROSTAR mais un peu effrayés de rouler sous la mer. La cabine du train leur parut un point stratégique pour voir venir les accidents. Le conducteur leur plut. Sa tignasse, ses moustaches à la Dali, ses grosses pognes promettaient de quoi s’occuper pendant le voyage.


- Le train est bourré dit le chauffeur dans un micro, çà confine sec. Les anglais retournent chez eux.

- Tu parles répondit son correspondant, ils disent trois semaines, je te parie que çà va être deux mois minimum.


Elle entreprit de l’instruire sur le Royaume Uni, lui expliqua comme elle put le Brexit, souligna le côté excentrique des anglais – et que dire des écossais !- mais surtout dévoila sa grande passion, la royauté. Il ne la savait pas si midinette.


- La reine d’Angleterre s’appelle Elisabeth II et elle a plus de 90 ans Ah !.elle en a des soucis avec sa famille, je ne te dis pas. Un mari malade, un fils qui s’est marié alors qu’il était amoureux d’une autre, heureusement sa femme est morte dans un accident de voiture, et maintenant un petit fils qui avec sa famille, une métis divorcée, s’installe au Canada. Et c’est que çà coûte une famille comme celle- là ! heureusement elle a hérité de quelques châteaux de son papa et les anglais versent un impôt pour la nourrir. La reine s’habille toujours avec des couleurs vives, pour qu’on puisse la repérer dans une foule. Dans son carrosse ou sa Rolls, avec ses extravagants chapeaux, elle ne craint pas grand-chose mais bon il faut respecter le protocole.

- J’ai peur qu’elle ne reçoive que sur rendez- vous ?

- On s’en moque, on va partout je te rappelle dit-il en riant. On ira lui dire bonjour cet après- midi on tea time.


En attendant, ils firent un tour dans Regent’s park. Les grands nez des ânes les inspirèrent, ils ne touchèrent pas aux enfants. Jamais.

Devant Buckingham palace, ils furent très impressionnés par les gardes, enchâssés dans leur boîte en bois. Vareuse rouge et haut bonnet en poil d’ours, ils restaient impassibles sous les flashes des touristes.


- Ils ont le droit de bouger si çà les gratte sous les bras, demanda-t-elle

- Si tu les chatouilles, comme çà, tu verras bien, et il la chatouilla entre deux vibrions


Après avoir traversé une cour d’honneur, ils se glissèrent à l’intérieur. C’était un beau palais, les meubles étaient très élégants, les parquets brillaient, dans les vitrines l’argenterie éclaboussait au soleil, les coussins étaient artistiquement disposés sur des sofas accueillants. Tous les murs étaient couverts de tableaux : austères ancêtres en uniformes, dames vêtues de robes de bal, ruisselantes de bijoux, et beaucoup de paysages, de chiens et de chevaux, les deux passions d’Elisabeth. Tout respirait l’opulence et le confort.


Ils étaient complètement perdus lorsqu’ils entendirent les bruits d’une conversation. Dans une belle pièce, deux personnes se faisaient face : la reine le teint frais et rose, les cheveux blanc serrés en boucles, tout de vert vêtue, écoutait un grand escogriffe agité ,les cheveux jaune maïs qui lui tombaient dans les yeux, la cravate de travers.


- C’est le premier ministre, il avait sa photo dans le journal, il relève d’une grave maladie le Covid 19.. Il est bien pâle.

- Tu crois qu’on peut l’attraper ce covid machin? demanda-t-elle,

- Bien sûr que non, dit-il

- C’est joli les boucles de la Reine, à mon retour j’essaierai quelques bigoudis.


Les corgis qui somnolaient au pied de la Reine remuèrent la queue et les oreilles et se mirent à gronder.


- Ils vont nous mordre dit-elle en se serrant contre lui

- Ne sois pas stupide, nous sommes trop petits, ils ne peuvent pas nous voir, juste nous sentir. Tu as vu ces jolies truffes, que dirais-tu d’y faire un tour ?


Aussitôt dit, aussitôt fait. Plus tard, elle ressortit fâchée que les protéoses rencontrées n’aient pas compris son anglais. Lui s’était installé sur l’accoudoir de la Reine tout vibrionnant.

- J’irais bien dit-il d’un air gourmand.


Elle lui tapa un grand coup sur la tête :


- Il n’en est pas question. Où tu as été élevé toi, une Reine çà se respecte.


Il rebroussa chemin, tout penaud, et elle le suivit à regret. Elle aurait bien voulu visiter la salle de bains et connaître son parfum. Ils croisèrent ce grand benêt de prince Charles avec sa Camilla.


Comme il pleuvait le lendemain, ils décidèrent de chercher le soleil et attrapèrent le dernier vol pour Barcelone


A l’aéroport, ils se hissèrent dans un taxi qui déposa ses passagers sur une large avenue encombrée d’un flot de voitures et de scooters polluants. Des stands proposaient des cartes postales, mais ils ne savaient pas écrire, des jus de fruits frais et des babioles estampillées Barcelona. Une foule compacte et bruyante arpentait los ramblas (c’était écrit sur une plaque collée au mur). Tous portaient des masques, sur la bouche et le nez, pour la pollution sans doute. La fatigue du voyage, le bruit et la faim leur tournaient la tête et ils se vengèrent sur un

joueur de guitare.


Soudain, il s’arrêta net devant une affiche placardée sur un arbre. Il bredouillait : regarde, c’est Lionel Messi, le Barça joue ce soir, dis on y va, on y va hein ? contre le P.S. G. un match de titans. Mon rêve. Ce qu’il pouvait être gamin parfois.


Le foot ne la branchait pas trop mais elle troqua son accord contre une corrida. Ils ne connaissaient pas le chemin jusqu’au stade mais ils repérèrent vite des supporters qui brandissaient des fanions en hurlant : on va gagner, on va gagner. Le Barça gagna haut le pied. Terrassés par les émotions, ils passèrent la nuit dans la loge d’honneur.


La corrida ayant lieu l’après- midi, suivant les recommandations du Coronaroutard, ils décidèrent de visiter le musée Picasso dont ils ne connaissaient qu’une toile : Guernica. Ils doublèrent la longue file des visiteurs en rigolant.


Dans la première salle, il n’y avait que des représentations de colombes, bien grasses, dans la seconde, répété sur tous les murs, le tableau d’une infante, toujours la même, l’air triste, dont la jupe semblait gonflée à l’hélium. Un nain l’accompagnait qui leur aurait bien plu, mais il s’agissait d’une peinture et non d’un être vivant ? C’était bien frustrant.


Dans les salles suivantes, les toiles ne ressemblaient à rien : des personnages avaient deux visages, le nez à la place de la bouche, un sein à la place d’un œil, une oreille collée sur une hanche.


- J’ai entendu un guide dire qu’il s’agissait d’œuvres de jeunesse.

- Il a dû dessiner çà à la maternelle. Pourquoi les exposer dans un musée. Çà ne doit pas avoir grande valeur.


Un tableau intitulé « le bull » leur rappela l’heure de la corrida. Le soleil tapait fort. Ils remarquèrent que là aussi la plupart des spectateurs portaient des masques, pour se protéger du soleil sans doute. Quand le taureau pénétra dans l’arène, naseaux fumant de colère, elle eut très peur et lui serra un vibrion. Elle était sûre que ce mastodonte allait occire ce pauvre matador, sanglé dans son habit, qui agitait sa muleta sous son nez. La mise à mort les écoeura profondément. Mais au moment où l’animal était évacué, ils se précipitèrent, il n’était pas question de laisser de si belles narines sans exploration. Cette expérience les combla et c’est tout joyeux qu’ils se dirigèrent vers la Segrada Familia. Cette folie de pierres, d’un certain Gaudi, avec ses tours dentelées, ses légendes sculptées, ses vitraux haut perchés les laissa pantois.


On était loin de la beauté tranquille des temples de leur pays, la délicatesse des panneaux peints à l’encre de Chine, les aquarelles, le parfum des offrandes fleuries, les bouddhas dorés et bienveillants. Les cerisiers devaient être en fleurs. Ils eurent un instant de grosse déprime. Elle surtout ;


- Voyons ma chérie, ne faisons-nous pas un merveilleux voyage ?

- Si, bien sûr, Je suis un peu fatiguée, c’est tout, allons nous reposer à la Fondation Miro, le guide la recommande vivement.

- Alors, si le guide le dit, et ils montèrent dans un car de touristes.


Ils ne s’attendaient pas à une telle explosion de couleurs. Sur les toiles, de grands aplats, francs et vifs, sautaient à la figure des visiteurs. lls s’offrirent une partie de cache cache parmi toutes les sculptures rigolotes qui peuplaient le musée et le jardin. Le moral était revenu. Le lendemain matin, ils trouvèrent les portes closes « dû au confinement » indiquait un panneau. Ils ne savaient toujours pas ce qu’était le confinement, mais décidèrent de quitter Barcelone au cas où ce serait une maladie contagieuse.


Penchés sur la carte du monde de Coronaroutard, ils hésitaient. Tant de pays encore à visiter.


L’Egypte et ses momies ? trop compliqué pour franchir toutes ces bandelettes. Leurs vibrions n’étaient pas des marteaux piqueurs.


L’Italie ? il y avait bien le pape, mais ils laissèrent ce vieux monsieur attendre le jour béni où il retrouverait son vieux copain Dieu. Les pizzas et les pâtes, ah ! les pâtes. Ils avaient eu l’occasion d’y goûter dans l’estomac de touristes qui visitaient la Chine. Ils avaient adoré. Chez de gros gloutons, il restait de délicieuses traces de glaces à la crème. Mais on n’était plus au temps des gladiateurs et des lions et les vieilles pierres ne les intéressaient pas tant que çà.


La Roumanie ? La visite d’un ours des Carpates ne méritait pas d’affronter tout ce froid.


Les Etats Unis ? Ils n’avaient pas l’intention d’aller dans un pays dont le dirigeant tweetait à longueur de nuits des horreurs sur leur cher pays. La seule chose positive était qu’il proclamait haut et fort que le coronavirus n’existait pas. D’ailleurs, les américains possédaient à la maison assez d’armes à feu pour l’anéantir. Ceci dit, il partait au golf.


La Russie les tentait bien. Ils avaient vu « le docteur Jivago » à la télévision et ils rêvaient de promenades en traineau dans la neige, blottis sous leurs fourrures. Ils n’avaient encore jamais goûté au caviar. Va pour la Russie.


Par le Coronaroutard, ils apprirent que le dirigeant Poutine s’entendait très avec leur chef Xi Jinping pour tordre en douce le cou à la démocratie, les Ukrainiens d’un côté, les Ouigours de l’autre. Tout çà leur était bien égal. Ils avaient leur petite vie à eux.


Ils étaient curieux de voir dans quel état serait Lénine dont le corps momifié restait exposé sur la Place rouge. Ils avaient la chair de poule à l’idée d’aller explorer l’intérieur d’un tyran qui avait tué des millions de personnes et tous leurs vibrions tremblaient de peur et d’excitation. Ils furent bien déçus : c’était un homme comme un autre dont il ne restait pas grand-chose après toutes ces années. En sortant, ils crurent entendre Lénine tousser.


La neige était absente –réchauffement climatique sans doute – les grands magasins ressemblaient aux Galeries Lafayette, il y avait la queue au Mac Do, les murailles du Kremlin semblaient infranchissables.


Pour se réconforter, ils cherchèrent un bar où ils trouveraient de vrais russes qu’ils se représentaient encore comme de solides moujiks. Après bien des déceptions, ils en trouvèrent un, peuplé de gaillards près d’une caserne. Le choix était facile et ils s’engouffrèrent chacun de leur côté. Elle sortit la première et attendit, attendit presque une heure. Elle était très inquiète. Que ferait-elle s’il ne revenait pas. Elle se tordait les strions. Enfin, il apparut et se dirigea vers elle en titubant.


- Tu es malade ? Il t’est arrivé quelque chose ?


Il la regardait comme si il ne la voyait pas, les yeux vitreux, l’équilibre incertain.

- J’ai cru que j’allais me noyer dans la vodka. Plus je nageais plus le niveau montait. Qu’est-ce que c’est bon la vodka dit-il dans un hoquet. J’en veux encore et il s’apprêtait à repartir quand elle le retint fermement.


- Arrête de te conduire comme un soudard. Elle le poussa dans le coin d’une banquette où il dessoula toute la nuit.


Le lendemain, ils réfléchirent : ils avaient exploré des catholiques, des orthodoxes, des athés, ils se rappelèrent qu’ils avaient projeté d’aller à La Mecque. Ils n’avaient jamais eu l’occasion de rencontrer des musulmans.


Deux jours plus tard, après un voyage périlleux, dont une partie sur un chameau, dont la visite avait été une vraie surprise, il aperçurent une foule de plusieurs milliers de personnes qui se dirigeaient vers un grand cube noir autour duquel ils tournaient, en se tenant à distance les uns des autres. La plupart portait des masques. Des silhouettes toutes vêtues de robes longues noires laissaient deviner des femmes. Leur tête était couverte de voiles, de foulards

noirs aussi. On ne voyait que leurs yeux. c’était une manière radicale de porter le masque.


- J’ai entendu dire que c’est à cause du COVID 19 et du confinement qu’il n’y avait presque personne.

- Encore ces histoires dit-il.


Plus tard, il ramassa un voile dans une boutique et il l’enveloppa dedans.

- Voilà, tu es ma musulmane maintenant.


Et ils se sourirent. Il remarqua qu’elle avait l’air fatigué et se demanda si elle n’avait pas perdu du poids. Cela faisait plusieurs mois qu’ils avaient quitté leur maison, elle leur manquait ainsi que leurs petites habitudes.

- Que fait-on demain demanda-t-elle ?

- J’avais pensé qu’on pourrait rentrer maintenant, j’ai l’impression que tu es épuisée d’avoir vu tant de choses nouvelles. Et nous avons suffisamment de souvenirs pour le reste de nos jours.


Elle comprit qu’il n’avouerait jamais qu’il était lui aussi fatigué et elle répondit qu’elle était d’accord si c’est ce qu’il voulait.


Ils furent heureux de revoir leur maison. Il s’assit dans son fauteuil et demanda :

- On mange quoi ?


de Liliane BRUNEAU

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